Pablo Garcia

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Strass & Paillettes

Jackie-Ruth Meyer, février 2011


Texte dans le cadre de l’exposition Strass & Paillettes au centre d’art Le Lait, Albi (81)


A une époque de surmédiatisation des informations et du règne de l’apparence, du montage, dé­montage, remontage des images sans recul, façonnant un point de vue unique, les dispositifs ima­ginés par Pablo Garcia invitent à une dimension critique. Il intervient sur le rapport aux images, au temps et à la distance nécessaires pour leur compréhension, a contrario du discours médiatique, usant d’immédiateté, qui transforme les évènements en vérités inaliénables.

Dans la salle d’exposition de la MJC, plongée dans une lumière crue, des informations omniprésentes défilent sans cesse ; les lumières saturées, le volume sonore participent à ce que le visiteur éprouve physiquement l’aveuglement qui le guette dans sa perception du monde.

Le dispositif scénographique imaginé par l’artiste laisse une place centrale à l’objet télévisuel : support technique d’une part, laissant défiler un flux incessant et entêtant d’images qui accaparent notre attention ; objet médiatique d’autre part, pris comme média culturel à part entière (avec la multitude d’auto-références à laquelle il renvoie). Les images qui défilent sont celles de BFM TV, une chaîne d’informations en direct. Nous sommes ici dans l’instantanéité, la répétition, la recherche de « spectaculaire » par l’énonciation de faits bruts, sans recul, présentés comme vrais, émanant d’une réalité sans idéologie.

Les lumières, ultra puissantes tels des éclairages de stades, sont destinées à éblouir, à brouiller l’appréhension du lieu ainsi que la lecture des images diffusées ; laissant le son prendre toute sa dimension. Elles renvoient au titre de l’exposition « Strass et paillettes », et à l’ « éblouissement » que la société médiatique opère sur les individus, à l’image du morceau de Booba auquel le titre fait directement référence, et qui évoque une jeunesse dépolitisée, consumériste, soumise au règne du paraître et de l’envie, véhiculée par les médias et la publicité.

Pablo invite ici à une réflexion sur les médias, notamment télévisuels ; il questionne le rapport du téléspectateur à ce dernier, l’invitant à considérer combien son recul est minime, et combien les programmes télévisuels participent d’un contexte politique et idéologique à décoder.

Dans la Box des Moulins au centre d’art Le LAIT, une phrase et une chambre noire exigent du temps, condition sine qua non pour découvrir l’image unique choisie par l’artiste.

La phrase inscrite sur les murs de la Box est une citation de Hermann Göring, tirée du procès de Nuremberg (1945-1946). Elle aborde le sujet de la manipulation des masses par le discours politique. Pour pouvoir lire cette phrase, le visiteur doit cheminer, se déplacer physiquement dans l’espace jusqu’à appréhender le texte dans son intégralité.

« Bien sûr, le peuple ne veut pas la guerre. C’est naturel et on le comprend. Mais après tout, ce sont les dirigeants du pays qui décident des politiques. Qu’il s’agisse d’une démocratie, d’une dictature fasciste, d’un parlement ou d’une dictature communiste, il sera toujours facile d’amener le peuple à suivre. Qu’il ait ou non droit de parole, le peuple peut toujours être amené à penser comme ses dirigeants. C’est facile. Il suffit de lui dire qu’il est attaqué, de dénoncer le manque de patriotisme des pacifistes et d’assurer qu’ils mettent le pays en danger. Les techniques restent les mêmes, quel que soit le pays. »

Dans la « box », transformée en chambre noire, une image est projetée ; elle se dévoile difficilement, le phénomène de persistance rétinienne exigeant un temps d’adaptation. L’aveuglement provoqué par ce dispositif induit la nécessité d’une certaine persévérance, recherche et attente, qui sont les voies incontournables d’un accès à la connaissance. La photographie est un cliché du Centre de Rétention Administratif Joffre de Rivesaltes ; ce camp construit en 1938, a accueilli successivement les réfugiés espagnols qui fuyaient le régime de Franco, les juifs, espagnols et tziganes, raflés à l’époque du gouvernement de Vichy, puis les Harkis, réfugiés après la guerre d’Algérie, avant de servir jusqu’en 2007 de Centre de Rétention Administratif, pour les personnes « sans-papiers » devant être reconduites à la frontière.

Pablo Garcia travaille et enquête sur ce site méconnu voire occulté, depuis 2008. Il convoque ici une réflexion sur ce lieu et son histoire, qui se dévoile difficilement, par bribes et au travers de témoignages contradictoires. Pablo prend la mesure de l’opacité de l’Histoire. La phrase et l’image choisies dans cette installation apparaissent dès lors comme des « lieux » où des « vérités » se répètent, perdurent et résonnent singulièrement dans l’actualité.

Dans cette exposition imaginée par Pablo Garcia, tout est jeu de paradoxes, entre trop et trop peu, lumière crue et obscurité, profusion d’informations et manque de clarté informative, saturation et minimalisme. Dans la distance qui sépare les deux dispositifs, un cheminement physique et mental s’opère.