Pablo Garcia

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Autodafé (L'insurrection qui vient)



2012
fac-similé du livre L’insurrection qui vient imprimé à l’encre sympathique
édition de 20 exemplaires
impression atelier Tchikebe!, Marseille (13)



Pablo Garcia nous propose de feuilleter un livre aux pages blanches. Qu’on ne s’y trompe pas, si l’ouvrage est blanc, il n’est pas vide. Ni carnet ni cahier – qui l’un comme l’autre sont des supports à projection libre – , il s’agit bel et bien d’un livre, vecteur plein, renfermant un contenu rigoureusement déterminé, mais dont le message ne peut être délivré que selon certaines circonstances. La condition de possibilité de l’apparaître du texte se révèle être son prédateur le plus dangereux : la chaleur d’une flamme. Un modèle de trame narrative se fait jour, qui nous rappelle la fiction de Bradbury, Fahrenheit 451, où l’homme qui met en marche la résistance est un « pompier » employé par l’état pour anéantir tous les livres, outils de pensée, considérés comme une menace à l’ataraxie d’une population anesthésiée par le confort et maintenue dans une inertie heureuse par l’effet d’un abrutissement médiatique quotidien orchestré par le gouvernement. De même que dans l’oeuvre de Bradbury, c’est celui qui est en charge de la liquidation du savoir qui paradoxalement permet l’éveil des consciences, l’ouvrage que nous présente Pablo Garcia ne pourra trouver son effectivité subversive que par le secours de ce qui lui est le plus nuisible, et au prix de sa destruction probable.

On comprend que l’objet qui se tient devant nous est voué à garder le silence ou à prendre le risque de disparaître. Cette alternative, définition de l’antagonisme collaboration/résistance, résonne puissamment avec les propriétés qui spécifient les luttes contemporaines. Arrivé à une ère où le système dominant a développé la capacité de produire une auto-critique choisie et maîtrisée tout en éradiquant ou récupérant celle qui ne doit pas être rendue publique, la seule voie de résistance possible est un hapax : elle n’apparaît qu’une fois avant destruction. Qu’il s’agisse de la bombe 
humaine, de l’attentat suicide ou de l’émeute, le fait de protestation est un jaillissement soudain qui s’éteint instantanément. La contestation, qui jadis germinait sous terre comme le grondement sourd d’une machine en marche, s’est aujourd’hui retranchée dans une fulgurance de phalène. C’est ce que dénonce, dans sa forme comme dans son contenu, l’ouvrage blanc de Pablo Garcia : impression silencieuse de l’Insurrection qui vient, le pamphlet rédigé par l’organisation du Comité Invisible, qui a dû se retirer dans l’anonymat pour pouvoir prendre les armes. Le phénomène de la censure, plus pernicieux qu’auparavant puisque désormais supposé inexistant ou tout du moins considérablement assoupli, a pu à cette occasion être éprouvé sans pour autant qu’il parvienne à ses fins, n’ayant aucune preuve tangible à l’encontre du principal accusé. La raison pour laquelle le Comité Invisible n’a pu être neutralisé tient précisément à l’invisibilité de celui-ci, qui prémunit les acteurs de l’organisation pirate contre les manoeuvres gouvernementales de dissolution.


De la même manière, dans le projet de Pablo Garcia, le support de résistance, vecteur du pamphlet sous la forme cryptée d’un cahier blanc, n’échappe à sa propre liquidation qu’en feignant une virginité de façade. Le fond rejoint alors l’objet qui, sous la forme du colis piégé, renferme son coup d’éclat testamentaire. Constatant l’efficacité des moyens de coercitions contemporains, qui ont su désagréger la lutte organisée des classes en une infinité de mécontentements individuels, aux formes revendicatives des plus chaotiques, irrationnelles et pulsionnelles, qu’il s’agisse de l’action terroriste ou de l’émeute spontanée, le livre invisible nous parle, comme d’une alternative aux indignations désorganisées et inefficaces, de la possibilité d’entrer en résistance.

Clémence Agnez